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Partout en France, dans des petites communes comme dans les grandes villes, résistent des enseignes d’une période révolue. Résistance face au temps qui passe et face à la modernité écrasante. Elles sont comme des fantômes, accrochées aux parois des bâtiments, coincés entre ici et ailleurs. Bloqués entre l’éphémère et l’éternel. Il est fréquent qu’il ne reste que des morceaux de lettres de couleurs foncées. Parfois, par chance, il est possible d’observer en levant les yeux des potences en fer forgé dégradé par le temps. Les signes distinctifs sont là mais les boutiques ne sont plus. Les activités lisibles mais les commerces abandonnés.

Mon tour des régions de plus de 70 étapes m’a permis de traverser de nombreuses communes: village du nord, villes du sud, communes de l’est et de l’ouest. J’ai été frappé par le nombre de commerces disparus, d’enseignes quasiment effacés. J’ai également été interpellé par les bâtiments industriels cassés ou réhabilités. Loin de moi l’envie de vouloir tomber dans un « c’était mieux avant », il n’en reste pas moins que nous avons perdu, au fil du temps ce qui faisait le charme de nos villages. Savoir-faire, économie locale, communication visuelle simple et efficace, proximité attendue par les habitants. Les commerces de proximité, accessibles à pied ont fermé au fil des années pour laisser place aux grands centres commerciaux aux panneaux immenses et aux écritures grandioses. Les vitrines où été écrit «Boulangerie», «Charcuterie», «Épicerie», «Vente de miel» ont laissé place à des habitations et des boutiques aux noms et marques connus nationalement. En termes de communication nous sommes passé de mots simples, compréhensibles, évoquant produits et savoir-faire à une accumulation de représentation d’offres, de marques, de promotions, de soldes. Nous sommes passé de mots compris par les tous à un langage international fait de mots venant d’autres pays et d’autres langues.

Les territoires se sont ouverts sur le monde en même temps que nous perdions un certain sens commun. 

Il ne faut pas être naïf, certaines rues n’arrivent plus à attirer un commerce, un bar, un restaurant. Certaines communes en sont même maintenant totalement dépourvues. Les petits commerces, à taille humaine et nécessaire à la vie quotidienne des petits et des grands, des jeunes et des plus âgés ont laissé la place aux grands parkings et aux grands magasins dont les noms ne se raccrochent ni à des activités, ni à des produits, ni à des savoir-faire. Les centres-villages ont migré en bordure des autoroutes ou des voies rapides. Pour s’y rendre il faut conduire ou prendre le bus. Puis, généralement il faut se munir d’un autre véhicule à quatre roues afin d’arpenter les longs couloirs et rayons. Les gens se croisent sans se parler, se bousculent sans s’excuser et le lien social se cherche sans vraiment se trouver. Ces magasins sont devenus la norme, indispensables à la vie de la majorité, portant des noms qui ne signifient rien d’autre que le repère mental indispensable au développement d’une société de consommation qui force un peu plus chaque jour à acheter un produit en plus, un accessoire supplémentaire, un outil additionnel. Un système de consommation et de distribution qui devrait évoluer en différents niveaux, en différents degrés. Car nous sommes sans doute passé du tout au tout, du tout local au tout international, du tout d’ici au tout venant de partout. 

Ceux comme moi qui résistent tentent de trouver des nouveaux moyens de s’informer, de consommer. De s’éduquer aussi. Car s’il est impossible aujourd’hui voire dangereux de vouloir faire disparaitre les grandes surfaces totalement, il est nécessaire de réhabiliter des façons de faire qui fonctionnaient, qui rassuraient et qui donnaient la part belle au travail manuel. Boutiques familiales où règnent quelquefois encore un vrai lien social et une convivialité assumée.

Il n’y a rien de plus dramatique que de voir encore aujourd’hui chaque jour un nouveau bout de papier posé sur une vitre de commerçant avec écrit: fermeture définitive. Le drame réside également dans le fait que nous sommes habitués. Habitués également à savoir ces fantômes du passé coincés entre ici et ailleurs. Des lettres disposées au-dessus des entrées, qui avaient l’habitude de voir les passants s’arrêter pour les regarder. Tous sont maintenant orphelins de nos visages exprimant de la considération voire de l’admiration. 

 

Baptiste Vasseur