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Odile Tambou est une photographe d’animaux spécialisée dans la faune africaine, engagée pour la cause animale et la protection de nature. Pour en savoir plus sur son travail et commander son livre : www.odile-tambou.com

 

Bonjour Odile, merci de prendre le temps de cet échange. Vous êtes photographe d’animaux, passée par les Beaux-Arts, comment définissez-vous votre art et la pratique de la photographie en milieu naturel ?

OT: Bonjour Baptiste, je me sers de recréer l’émotion que j’ai ressentie en observant la nature que ce soit en photo ou en dessin Je recherche donc très souvent le regard des animaux, mon passage par les Beaux-Arts m’a permis de « penser  » une photo comme une toile ! Ou un dessin. La photo est un médium pour moi et je ne cherche avant tout que l’émotion dans une rencontre et évidemment des animaux en totale liberté et environnement naturel

Votre livre « l’émotion d’un regard » parle de cela: d’immersion, de voyage et d’aller à la rencontre. L’utilisation du noir et blanc accentue les contrastes, pourquoi cette méthode est importante pour vous ?

OT: Oui j’aime l’idée d’aller à la rencontre des animaux et que ce soit eux qui me tolèrent sur leur territoire et qui m’offrent la possibilité de les photographier. Quand au noir et blanc je cherche à aller à l’essentiel et à faire ressortir les détails et la puissance d’un regard. Le noir et blanc ne triche pas ! Et L’œil va à l’essentiel.

C’est très intéressant, est ce que c’est une façon pour vous d’interpeller le public, les citoyens sur des animaux en danger ? Sur la fragilité de faune et même de leur environnement ?

OT: Oui, car l’émotion doit faire naître une prise de conscience de la fragilité et du déséquilibre auquel est confrontée la faune sauvage (chasse, braconnage, réduction de leur territoire etc). Le spectateur est interpelé face à ce qu’il ressent et je peux parler de notre animalité (nous faisons partie d’un tout). Comment ne pas s’émouvoir devant une maman lion qui dépose son lionceau sur le sol tout doucement ou une babouin qui protège son petit dans son giron ? Nous sommes si proches.

Tout à fait. Même si une des meilleures façons d’être sensibilisé est de s’immerger dans un lieu et de vivre les choses en contact direct avec les animaux, vos photos et l’histoire qui est racontée derrière aident et favorisent cette prise de conscience. J’ai aussi compris que vos voyages sont aussi des moments pour rencontrer des personnes, des peuples. Est-ce que vous avez une passion pour la rencontre, au sens large du terme, qui se vit en particulier avec les animaux ?

OT: Oui bien sûr que lorsque je suis sur le terrain je suis immergée dans la nature et je ressens encore plus cette fragilité … En huit ans je rencontre de moins en moins de troupeaux d’éléphants et le réchauffement climatique influe sur la faune sauvage (limitant les naissances) la sécheresse touche de plein fouet la savane … Mais pour vivre ces instants magiques je suis aussi avec ma famille Masai qui m’a « adoptée » ils me considèrent comme l’une des leurs car j’essaie de communiquer avec les animaux et de les respecter plutôt que de rentrer avec LA photo du jour ! Je suis depuis toute petite à la recherche des rencontres différentes et qui m’apportent quelque choses, les Masais m’enrichissent de leur culture et de leur générosité …

Le Kenya par exemple subit la sécheresse et les conséquences de disparition sont nombreuses. Comment travaillez-vous sur le moment, sachant qu’il faut savoir être là mais aussi s’effacer? La meilleure photo est, parfois celle qui n’est pas prise.

OT: Je suis témoin de la sécheresse qui sévit, j’écoute mes amis Masais qui voient aussi leur troupeau de bétail mourir de faim et de soif … c’est une catastrophe ! La meilleure photo est celle que l’on ne prend pas mais mon secret c’est la PATIENCE. Et la connaissance du comportement des animaux que l’on prend en photo. Savoir attendre le bon moment, la bonne heure et le bon angle pour ne pas être vu parfois.

Est-ce que c’est purement technique ou bien c’est une façon, surtout, de respecter l’écosystème ? Et d’accepter que la nature vit son temps et que nous devons nous adapter à elle plutôt que de chercher qu’elle se plie à nos exigences.

OT: C’est pour respecter l’écosystème … et puis la technique permet de devenir de plus invisible : des boîtiers très silencieux, des téléobjectifs et nul besoin d’être trop près. Il m’arrive de passer des heures sur le terrain et de ne pas déclencher mon appareil … mais de revenir avec des images plein la tête !

Depuis combien de temps pratiquez-vous ? Avez-vous vu des changements dans les comportements (humains et des animaux) ? Comme dans une difficulté d’approcher ? 

OT: Je pratique depuis 8 ans et hélas oui de nombreuses voitures veulent s’approcher de plus en plus de certains animaux au risque de les effrayer et de perturber leur chasse par exemple … le problème est que beaucoup de personnes veulent revenir avec une photo parfaite qu’ils ont vu sur les réseaux sociaux et mettent la pression aux guides … une minorité de cette profession interagit négativement avec la faune sauvage. Certains animaux voient les 4×4 comme des grosses boîtes et ne sont pas effrayés au risque de s’en approcher trop près … et gare à la main qui a envie de caresser un « gros chat ». J’ai signé une charte de la photographie animalière de IFAW qui dénonce cela et qui engage à respecter les animaux et la nature tout en pratiquant la photo. Il n’est pas rare que mes guides de chez Tembo by Jackson fassent demi tour s’il y a trop de voiture ou de monde. C’est une éthique de ce camp , et j’en suis fière.

Nous avons le sentiment que les excès grandissent, provocant de grands bouleversements. WWF, dans un cri d’alerte, expose que 70 % des poissons, mammifères ou oiseaux ont disparu en 50 ans. Comment, pour vous, pouvons-nous nous reconnecter à notre part d’humanité, peut-être dès le plus jeune âge par une forte sensibilisation ? Vous parliez de respect mais aussi éthique, pour la pratique photo comme, sans doute, pour d’autres façons de faire.

OT: Je pense que parler aux plus jeunes est une obligation. Je parle dans les écoles et lors de mes conférences de l’obligation de ne pas cautionner les zoos et les cirques et de comprendre que si les animaux disparaissent, nous sommes aussi en danger. Une autre façon de faire serait d’accepter de rentrer « bredouille » de ne pas aller à la chasse à la photo parfaite avec l’animal parfait. Oublier la technique et garder l’émotion d’une rencontre Je dis à mes stagiaires « vivez le moment ! » et l’instant présent. Mais c’est un dilemme de limiter aussi le nombre de touristes et de safaristes sur un parc naturel comme le Masai Mara car ce sont eux qui font vivre le pays et le parc … il faut payer les rangers, et aider à protéger des braconniers etc.

Le Kenya est très sensible à la protection de la faune sauvage. D’ailleurs c’est en collaborant avec un camp 100% masai que je mets en application mon éthique et mes convictions car l’argent revient largement à la communauté.

C’est un projet ( l’éducation et sensibilisation) que vous aimeriez plus développer ? Quels sont, à ce propos, vos prochaines expériences prévues, souhaitez-vous développer vos histoires par la publication de nouveaux livres, récits, documentaires filmés?

OT: Je souhaite aller plus dans les petites villes et villages en France pour parler de mes combats et dans mon actualité je réfléchis à refaire un livre. Un peu particulier sous la forme d’un témoignage mais c’est encore un projet …

C’est un beau projet et je pense qu’il est utile. Le courage est, je le crois, une valeur, une façon d’être que nous partageons avec les animaux. C’est la question rituelle pour clôturer notre interview, quel est pour vous la définition, votre conception du courage ?

OT: Le courage pour moi est d’aller au bout de mes convictions et de continuer à témoigner pour éveiller les consciences.

 


Merci à Odile Tambou pour son temps disponible pour cette interview.

Baptiste Vasseur