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Les lieux de mémoire déclenchent chez moi le respect. Ce sont des lieux qui appellent à l’hommage et font échos au courage comme au tragique. Le tragique se ressent, car derrière les paysages, les tombes, les installations, les drapeaux, les bâtiments, il y a celles et ceux qui sont tombés aux combats. Des noms, des prénoms, des visages. Mon tour des régions m’a fait parcourir la France et découvrir le caractère de la Haute-savoie avec le Monument national à la Résistance du plateau des Glières. Le plateau des Glières et le silence qui y règne. Un silence qui appelle le recueillement. Ce plateau qui reflète l’âme courageuse de ce département. Je m’y suis rendu en fin de journée, découvrant ce monument visible au loin par la route. Un bloc clair reconnaissable, un bloc clair avec son V de la victoire. Victoire et espérance, renaissance, liberté. Je m’y suis rendu pour ressentir en ce lieu l’histoire du maquis des Glières. À 1440 mètres d’altitude et à plus de 20km d’Annecy, le plateau est un de ces endroits qui vous marque, qui s’inscrit en vous durablement. C’est le courage de ces héros qui ne pourrait être remis en question que par ceux qui ne respectent pas la mémoire et les actes de ceux qui y ont perdu la vie, les maquisards, les résistants, les courageux qui se sont battus pour que leurs enfants, pour que les générations futures puissent vivre dans la liberté et dans une République démocratique. Résistance est un des mots que je préfère dans notre langue. Leur résistance déterminée à faire face à la barbarie, pendant la Seconde Guerre Mondiale était une force, une résilience. Leur combat, tenir face aux allemands et aux miliciens de Vichy.

Tom Morel, un nom, un prénom, un visage. Officier et résistant français à partir de 1943, compagnon de la libération qui donna la devise à son bataillon en février 1944, au pied d’une croix de Lorraine flottant dans le vent: « Vivre libre ou mourir ».

Cette devise est inscrite aujourd’hui sur le site de la Morette, avec la Nécropole nationale des Glières et ses 105 tombes surmontées d’une croix en bronze dont 88 tombes des maquisards du plateau des Glières. En janvier 1944, Tom Morel organise le maquis des Glières, dans la neige et le froid. Des groupes de maquisards dont plusieurs dizaines d’anciens soldats espagnols le rejoignent. Dans la nuit du 13 au 14 février de la même année, la Royal Air force largue des containers sur le plateau, choisi par Londres et par la résistance afin d’armer tout le département. Résistance, courage ! Tous ceux qui se sont engagés l’ont fait pour la liberté mais plusieurs y laisseront la vie, dont Tom Morel, le 10 mars 1944, à l’âge de 28 ans.

Le plateau des Glières est un lieu d’histoire, de mémoire, un espace naturel et rural. Difficile en premier lieu aussi pour l’homme que je suis me rendant sur ce lieu à 31 ans de penser que la guerre a eu lieu ici, que la résistance a fait face à l’ennemi tellement la nature est riche, présente et les marques des affrontements ne sont plus. Le temps a comblé des cicatrices. Certaines, profondes ne se refermeront jamais. Mon recueillement s’est fait jusqu’au coucher du soleil et alors que je voyais le soleil disparaitre derrière les montagnes puis le ciel s’assombrir, j’ai senti ce vent froid, glacial que devaient subir les résistants quand la nuit approchait. Ce plateau calcaire, du massif des Bornes est aujourd’hui la dernière demeure de ces résistants intérieurs. Des jeunes pour la plupart, qui n’avaient guère plus de 20 ans. 

Il est vrai que le temps passe, que les crises chassent les précédentes avec froideur sans que nous ayons vraiment pleine conscience de ce qui s’est passé, ni des effets produits. Alors que l’Union Européenne vit aujourd’hui la guerre à ses portes, qu’un conflit armé est déjà sur notre continent, la mémoire nous permet de raviver un certain esprit: la résistance et la résilience ont commencé par quelque-uns, par une poignée de personnes qui osèrent dire NON ! Puis d’autres s’engagèrent. Les crises que nous vivons, dures et angoissantes font aussi écho à nos anciens qui, se sont certainement retrouver dans des situations similaires. Partir ? Rester ? Résister ? Se cacher ? Dans ces moments-là toute question est angoissante, tout choix est difficile. Des choix qui ont demandé des sacrifices, des risques, des pertes. L’histoire du maquis des Glières, c’est ces hommes qui ont souffert du froid, de la neige, du vent, de la dureté du lieu, des attaques répétées, de la cruauté de la Montagne. Ils ont souffert du doute, de la crainte, de leurs compagnons tombés trop tôt au combat. Ils ont, sans doute, souffert de ne pas pouvoir prendre le temps de leur rendre hommage une fois le corps gisant sur le sol, sans vie. Des hommages mérités, encore aujourd’hui, à la hauteur de leur héroïsme et de leur vie donnée.

Des sentiments qui devaient, je le crois, se communiquer sur le moment, qui devaient se voir dans les regards, qui devaient se lire sur les visages. Des sentiments qui se sont dissipés dans le temps et l’espace. J’étais présent dans ce lieu de recueillement et les seules actions de fermer les yeux puis de prendre une respiration de cet air de montage m’ont inspiré. Inspiration de ceux tombés sur ce champ de bataille, comme une leçon de vie. L’héroïsme résiste et perdure tant que nous lui rendons hommage, tant qu’il se passe de génération en génération. 

Baptiste Vasseur

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Passant, va dire à la France que ceux qui sont tombés ici sont morts selon son coeur.

Malraux, Discours aux Glières, 1973.