J’allume la tv un après-midi et je me fixe sur une chaîne qui montre un documentaire. Les plans s’enchaînent montrant une campagne verdoyante et des routes de notre France. Une terre rurale, un petit village, un clocher d’église, une mairie et un cabinet médical. Le médecin de campagne, qui va bientôt entamer sa dernière tournée au contact de ses patients, va léguer son cabinet médical à la commune. Les dernières visites débutent alors. Le docteur dans sa voiture nous raconte, sans filtre ni commentaire en voix off son désir d’arrêter, d’avoir fait son temps. Les visites s’enchaînent, chez les gens, dans la vraie vie. Chaque patient a le temps de saluer, comme une mère sur le quai d’une gare agitant sa main en l’air pour dire au revoir à son fils partant au loin, une dernière fois.
“ Au revoir docteur et bonne retraite. ”
Les paysages s’enchaînent, les ambiances aussi. Les intérieurs rustiques, authentiques, simples défilent devant mes yeux. Et voilà maintenant la dernière visite du docteur avant de raccrocher et déposer sa sacoche contenant les dossiers de sa patientèle, une dernière fois. Une visite comme il en a eu fait des centaines, peut-être même des milliers, au fil des années d’exercice et de pratique. La femme, âgée, courbée, le visage fait de rides et marqué par le temps se lève de sa chaise. Elle prend le bras du docteur de sa main, de façon ferme. Le regard humide, elle lève les yeux vers le médecin pour lui dire :
“ Mais que vais-je devenir sans vous maintenant, docteur ? ”
L’homme tente de la rassurer mais je comprends que la peine est immense, la perte et le vide laissé inconsolable. C’est à ce moment-là que je comprends que la vie en milieu rural se maintient avec peu. Qu’elle est également très fragile. Être rassurer se maintient par des actes répétés et par des présences continues. Couper un tel lien déclenche plus de conséquences que l’on ne peut le penser. Il ne faut pas en vouloir au docteur, qui a le sentiment d’avoir fait son temps, d’avoir fait son devoir, d’avoir donné, beaucoup, au fil du temps par sa présence et par sa bienveillance. Sentiment juste et justifié. L’écoute et le temps passé sont souvent causes de beaucoup de maux soignés. Les médecins de campagne, disponibles, se déplaçant de maison en maison se font de plus en plus rares dans certains territoires. Des docteurs qui se déplacent, remplacés par des maisons de garde, quand il y en a, où il faut se déplacer. Prendre sa voiture, se garer, marcher pour entrer dans une pièce blanche, qui ne rassure pas autant que son chez soi.
Plus tard, je découvre dans la presse locale, qu’à quelques lieux de ce village qui a vu passer le docteur une dernière fois, un cabinet médical va sortir de terre, avec deux infirmières. Deux jeunes femmes, qui ont l’envie de cette proximité et de ce contact direct avec les gens. Rien ne se perd, tout se transforme. Mais si cela ne correspond pas forcément aux attentes des gens, qui voudraient retrouver le contact avec leur docteur, connue et reconnue. Celui qui était parfois devenu un ami, un confident. Devenant même comme un membre de la famille. Celui qui avait le mot gentil pour Noël, la formule agréable pour son anniversaire. Cela sera différent dans le futur, c’est certain. Ce qui compte à mon sens, c’est que la puissance publique arrive à s’emparer de ces manques pour les combler. La meilleure des solutions, c’est d’en trouver.
Dans beaucoup de territoires, les gens pleurent et déplorent les pertes et les disparitions, de bâtiment de service public comme d’homme et de femmes, personnels de santé qui étaient présents pour soigner. Espérons donc que dans les prochains mois et prochaines années, l’isolement de personnes jeunes et moins jeunes sera comblé par la présence et les tournées de jeunes médecins de campagne, qui auront, par leur engagement et leur grand cœur le souci de porter ce contact et cette proximité. Dans beaucoup de situations cela permet de guérir des blessures, des doutes, des angoisses, des craintes et des maux. Simplement par le fait d’être là.
Baptiste Vasseur
Photo illustration : Patrick Busson — unsplash